BG Elfes

L’aube commençait à pointer, illuminant l’immense fenêtre finement travaillée, traversant le verre et éclairant celui qui écrivait à son bureau, sans relâche depuis la veille. La plume filait avec grâce sur le parchemin coûteux, prouvant des années de maîtrise dans l’art de l’écriture et de la calligraphie.
Mais même les mouvements les plus déliés que les longs doigts pâles dessinaient n’arrivaient pas à masquer la légère raideur qui envahissait lentement, mais sûrement, les muscles qui étaient restés loyaux durant de si nombreux siècles.
Thanaris savait qu’il lui restait relativement peu de temps avant que son cœur ne cesse définitivement de battre. Son visage et son corps gardaient une beauté envoûtante, la jeunesse ne quittant pas ses traits, l’esprit toujours aussi vif qu’aux premières heures de son existence. Cependant, le vénérable érudit qu'il était devenu ne pouvait plus ignorer la lassitude qui s’emparait doucement de lui.
Il en était ainsi chez les Elfes : vivre des siècles, puis s’éteindre au plus fort de sa sagesse et de son intelligence, parfaitement conscient de la vie quittant peu à peu un corps d'albâtre, éternellement jeune.
Mais cela affectait peu Thanaris. Il avait eu toute son existence pour se préparer à cet instant. Et il avait une tâche à terminer. C’est donc avec calme et détermination qu’il continuait d’écrire, combattant la langueur qui gagnait lentement ses mains.

Mille deux cents années ont passé, et il sera bientôt temps pour moi de prendre congé de ce monde. Notre peuple séculaire aura vécu de grands bouleversements, tout au long de son périple jusqu’à cette époque.
Il serait légitime de se demander en quoi une énième narration de notre Histoire serait d’une quelconque utilité. Les historiens renommés sont légion au sein de notre race. Ils auront sans doute relaté l'histoire Elfe avec beaucoup plus de précision et d’exactitude que je ne le pourrais.
Cependant, je vais m’octroyer le droit de narrer les évènements me semblant importants, non pas avec la rigueur de l'historien, mais comme nous les avons vécus, nous, les enfants d'Eva.

Quand les Géants furent châtiés par les Dieux, et qu'Eva n' intervint plus directement en ce monde, mes ancêtres tentèrent vainement de rappeler notre mère auprès d’eux. Nul doute que mon peuple fut beaucoup affecté par cet apparent abandon. Toutefois, les Elfes n’ont jamais eu pour habitude de s éterniser en lamentations. Tous reconnurent les dons que leur déesse leur avait offerts : une vie extrêmement longue, une jeunesse et une beauté éternelles, un esprit acéré et une sagesse sans pareil. Comment ne pas mettre à profit de tels cadeaux ?
Mon peuple continua donc son périple, peaufinant son savoir, perfectionnant sa maîtrise de tous les arts, en particulier ceux de la magie. La déesse était avec nous, et veillait sur notre peuple, de son lointain domaine.
Lorsque le peuple Orc décida de marcher contre les Elfes, les miens étaient confiants, exaltés par la fierté indémontable de la souveraine d’alors, Veora. Cependant, son orgueil, comme celui de son peuple, furent propices à l’aveuglement et c’est avec une surprise glacée que mes ancêtres contemplèrent une race qu’ils considéraient comme barbare grignoter peu à peu leurs défenses.
Notre sagesse dût reprendre le dessus sur notre fierté, et le royaume Elfe consentit à rechercher un allié parmi les autres peuples. C’est avec consternation que les miens virent les nains se défiler. C'est avec Amertume que nous vîmes les Arteias s' exiler. C’est avec dépit que nous acceptâmes de nous allier avec les humains, à l'occasion d'un marché honteux. Nous privilégiâmes le choléra à la peste, sans nous douter des conséquences d'un tel choix.
Ainsi, les nôtres commirent une deuxième erreur, poussés par le besoin. Les Hommes apprirent les mystères des arcanes, vite…Trop vite au goût de mon peuple. La victoire contre les Orcs fut amère, nous laissant plus perdants que ces barbares avides de terres. Cette magie même qui nous avait protégés durant de si nombreux siècles se retourna contre nous, manipulée par des traîtres sans aucune sagesse. Les Hommes nous poussèrent à nous retrancher dans notre territoire natal. Là, nous protégeâmes aussi bien nos terres que nous-mêmes, nous entourant de puissants sortilèges et d’une méfiance envers le peuple humain qui ne nous quitta plus jamais.


Plusieurs siècles s’écoulèrent, au cours desquels les miens se contentèrent de renforcer leur érudition, leur sagesse, leur maîtrise des arts nobles. L’art de la guerre avait acquis autant de prestige que celui de la magie. Nous ne serions plus pris par surprise. Nous avions aiguisé notre sagesse, privilégiant le calme et l'impartialité. Certains disent aujourd’hui que nous sommes sans pitié pour les traîtres. C’est la stricte vérité, Cependant, la vengeance, aussi dure soit-elle, n'est que folie si elle n'est que le fruit de l'aveuglement.
Au sein même de notre royaume autarcique, des membres de notre peuple criaient vengeance et réclamaient le sang des descendants de ceux qui nous avaient trahis. Cette minorité se heurtait au mur de conscience et de principes de la majorité d’entre nous : nous avions appris de nos erreurs, et nous avions également découvert à quel point il est futile de se venger des Hommes en tuant leurs fils et leurs filles, tant chacun des membres de cette race diffère de l’autre.
Hélas, les Elfes Bruns, comme nous les appelions jadis, décidèrent d’écouter leurs instincts meurtriers et immodérés. Ils trahirent leur propre sang, plongeant dans la fange de la magie noire, divulguant le secret de notre immortalité à Dasparion, Humain à l’avidité sans bornes, corrompu jusqu’aux os par les arts obscurs.
Les Elfes Bruns furent perdus et se retournèrent contre nous, instaurant une ère de mort et de destruction. Les conflits se multiplièrent jusqu’au jour où les miens, excédés par les ravages que la magie noire causait, jetèrent une malédiction aux dissidents. Alors les Elfes Bruns virent leurs territoires pourrir, à l’image de leur âme. Ils devinrent les elfes noirs, la peste parmi la peste.


A partir de cet instant, les conflits entre nos deux peuples gagnèrent en intensité, révélant la sauvagerie des Sombres, mais aussi la détermination de mon propre peuple, qui se révélait être un adversaire militaire de taille. L'absence de guerre ouverte n'empêchait pas les morts, des deux cotés. Les terres à la croisée de nos royaumes virent couler beaucoup de sang,
Peu à peu, nous nous ouvrîmes à nouveau au monde, forts de nombreux siècles d’expérience. Heine accueillit progressivement un nombre croissant des nôtres, Innadril redevenant peu à peu le territoire Elfique qu’il avait jadis été.
Alors que nous apprenions rapidement à contrer les attaques de nos cousins damnés, les Hommes souffraient face à la violence dont ce nouveau peuple était capable.
Gludio passa aux mains des Sombres, et quand Giran se sentit menacée, ce fut au tour des Humains de rechercher l’aide des Elfes, aide que nous ne marchandâmes pas. Avec l’aide des nôtres, l’armée de Giran réussit à repousser les Sombres, et Heine nous fut rendue, les citoyens préférant la gouvernance de la duchesse Alewyen de Valarie à celle du comte Alexis de Tarque.
Innariel, bastion de l’Arbre Mère, et Heine furent enfin réunis, formant ainsi un royaume Elfe prospère, mais toujours sur ses gardes.
Nous n'oublions jamais, et certaines blessures resteront vivaces, aussi éternelles que la beauté de notre peuple.

Thanaris s’arrêta, fixant un moment les parchemins, puis posant finalement sa plume. Il se sentait apaisé. Il avait fini dans les temps. Ses mains étaient froides, mais il était serein, il avait rempli son dû.
C’est donc le sourire aux lèvres qu’il se leva et se dirigea vers son lit, laissant le soin aux générations suivantes de continuer l’histoire.

Clap clap ^^

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